Mounir Charfi franceTunisieInfo - Après la décapitation d’un professeur en France, l’ONDCE hausse le ton en Tunisie

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Au lendemain de l’attentat atroce qui a secoué la France le 16 octobre, beaucoup de voix en dehors de l’hexagone se sont levées pour dénoncer l’injustifiable, l’irréparable et l’inqualifiable acte terroriste qui avait ébranlé à la fois la sacralité de la vie humaine mais aussi l’école, l’un des piliers symboliques de la République.

S’agit-il d’un blasement transfrontalier contre la barbarie ou  d’une prise de conscience collective d’un danger commun, capable de frapper n’importe où, ,n’importe qui et n’importe quand…

L’agonie du professeur Samuel Paty a traversé cette fois ci les frontières pour retentir aux esprits de tous mais en particulier aux esprits des défenseurs de la laïcité, de la liberté et de l’Homme, c’est à ce juste titre que la voix de l’Observatoire National pour la Défense du Caractère civil de l’Etat en Tunisie s’est fortement levée contre la barbarie et contre le silence coupable des décideurs de l’Etat tunisien.

Quelques heures après l’attentat de Conflans Sainte Honorine, le soleil s’est levé comme tous les jours sur Carthage et sur la Khasba sans troubles, sans condamnation et sans aucun état de choc.

Ce silence indifférent et méprisant ainsi que les déclarations du député Rached Khriari  ont heurté l’ONDCE qui les a condamnés à travers un communiqué exhortant le Président de la Tunisie et le ministre des Affaires Etrangères a s’exprimer pour dénoncer le caractère terroriste et intégriste du crime qui a frappé la France, notamment après la réactivité  du Président Macron suite à l’attentat survenu le mois dernier à Akouda en Tunisie.

Nous avons souhaité dans ce contexte nous entretenir avec Monsieur Mounir Charfi, Président de l’ONDCE qui a accepté de nous accorder cette interview :

 

FTI : Quel est le statut et l’origine de l’ONDCE ?

M.C : L’Observatoire National pour la Défense du Caractère civil de l’État est une Organisation Non Gouvernementale qui a officiellement le statut d’une association. L’ONDCE a été créé suite au constat du danger que courent la société tunisienne et l’état lui-même après l’arrivée des islamistes au pouvoir fin 2011. Ils ont essayé par des moyens divers d’islamiser la société ; forte propagande dans les médias officiels ; création d’écoles coraniques à la pelle ; intimidation des femmes dans la rue, empêchement des activités culturelles… Mais le plus grave c’était leurs tentatives de créer un état religieux de juré lors de l’élaboration de la nouvelle constitution. C’est d’ailleurs cette erreur qui leur a fait perdre le pouvoir en 2013 lorsque des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour réclamer leur départ. Entre temps ils ont mis en place des associations dans le but réel est de poursuivre cette islamisation. Il existe en Tunisie quelques 20.000 associations dont 10.000 ont été créées après la révolution. Ces dernières, cependant, ont des objectifs et des financements louches. Elles ont la vitrine de bienfaisance et des œuvres de charité, mais nous savons tous qu’elles ne sont, en fait, que des moyens de blanchiment d’argent et des tremplins pour certains partis islamistes. C’est dans ce contexte là que nous avons pensé à combler un vide pour défendre le caractère laïc de l’état dans lequel nous avons vécu depuis l’indépendance.

Nous travaillons en étroite collaboration avec les associations à caractère réellement civil, et qui œuvrent pour les droits de l’Homme. Cependant le spectre de ces association est assez général, ce qui ne permet pas parfois de couvrir des questions assez pointues relatives au caractère civil de l’état

 

FTI : Comment évaluez-vous la situation de la laïcité en Tunisie ?

M.C C’est là, justement, où réside le véritable danger qui guette notre pays. Sans être officiellement laïque, la Tunisie l’a toujours été depuis l’indépendance, et même avant. Le terme « laïcité » fait peur aux musulmans parce qu’il est, pour eux, synonyme de mécréance. C’est pour cela que, depuis Bourguiba qui était foncièrement laïc, les modernistes tunisiens parlent de civilité.

L’islamisme n’est pas nouveau en Tunisie. Il date, en fait, depuis les années 1970. Mais il a toujours représenté pour nous une petite opposition extrémiste minoritaire gérée par des moyens sécuritaires. Et voilà que, depuis les premières élections organisées en Tunisie après la révolution, en octobre 2011, les extrémistes religieux, aidés apparemment par certaines puissances financières étrangères, sont arrivés au pouvoir. C’était le grand tournant dans la vie politique tunisienne. Depuis 2011, ces islamistes n’ont fait que semer le désordre total dans tous les domaines et particulièrement dans les secteurs économique et social. Par contre, ils ne cessent d’essayer de changer le mode de vie des tunisiens, en créant çà et là des écoles coraniques et en multipliant les initiatives d’islamisation de la société, telle que la création de fonds de « zakat » (dons à caractère religieux pour les municipalités).

Il était donc urgent et important de créer l’ONDCE qui a pour objectif essentiel d’empêcher ce recul pour la société tunisienne.

 

FTI : Quelle est votre perception de la laïcité en France ?

M.C La France est un pays qui a la chance d’être laïc de juré. En plus, la laïcité en France date de 1905. Ce n’est donc pas un concept nouveau pour les français. Elle ne risque pas d’être remise en question. Mais malheureusement pour elle, ainsi que pour tous les pays du monde d’ailleurs, l’islamisme politique ne reconnait pas les frontières. Ces extrémistes croient qu’ils ont la mission sacrée d’islamiser les sociétés partout où ils peuvent agir.

La France, un pays d’accueil par excellence, comptent plusieurs millions de musulmans, dont, sans doute, des extrémistes terroristes. Ceux-ci constituent, sans doute, un véritable danger pour la laïcité, voire pour la république. Et je comprends parfaitement l’attitude très ferme des autorités françaises vis à vis des groupuscules terroristes qui agissent en France.

En Tunisie, la question est plus délicate. D’une part, la société tunisienne est, en majorité musulmane et elle confond souvent l’islam en tant que religion et l’idéologie islamiste politique. Ce qui rend particulièrement difficile la lutte contre cet extrémisme. Dans les communiqués de l’ONDCE, nous faisons toujours attention aux termes que nous utilisons pour que les citoyens ne nous taxent pas de mécréants. Et d’autres part, les partis religieux disposent d’énormément de moyens financiers pour attirer l’électorat des milieux démunis, nombreux en Tunisie.

La bataille est rude.

 

FTI : Que pensez-vous des déclarations du ministre des affaires étrangères tunisien et du chef du gouvernement sur le dernier attentat en France, ainsi que de leur temporalité ?

: Les relations internationales et diplomatiques sont, d’après la constitution tunisienne, du ressort du président de la république et du ministre des affaires étrangères. Que le chef du gouvernement agisse dans le bon sens dans ce chapitre, c’est un bon point pour lui. Mais une réaction instantanée à l’attentat terroriste fâcheux de Paris est, à mon sens, un devoir indiscutable du ministre des affaires étrangères. Il se trouve que cette réaction est venue tardivement. Elle est peut-être venue suite au communiqué de l’ONDCE qui accuse ce ministre de mutisme vis-à-vis de cette opération. Ce retard est peut-être dû aussi à l’hésitation du chef de l’état.

FTI :  Comment interprétez-vous le silence du Président Kaies Saied sur cet attentat ?

M.C : La grande lacune de M. Saied réside, de l’avis de tous, dans ses méthodes de communication. Son langage est souvent mal compris par une grande partie des tunisiens. Il a aussi l’habitude de parler de principes et de concepts théoriques sans pour autant que des actions réelles suivent le discours. Par exemple, il n’a pas cessé de répéter, depuis sa compagne électorale, qu’il considère la normalisation avec Israël comme un crime. Mais on ne l’a pas vu prendre comme tel la normalisation des Emirats Arabes Unis et du Bahreïn avec Israël.