economie invest basque country 750x482 1 - Le froid économique franco-tunisien

Depuis quelques mois les relations institutionnelles entre la France et la Tunisie sont mises à mal, la France est mal aimée en Tunisie et les franco-tunisiens subissent eux aussi ce sentiment de rejet.

La campagne électorale a vu des accès de francophobie poussant certains candidats à brûler le drapeau français, proposer d’arrêter l’Ambassadeur de France à Tunis, le tout sur fond de « fake » sur la spoliation du sel ou d’autres ressources qui se sont avérées fausses.

Ce climat malsain s’est traduit par des attaques directes contre les binationaux remettant en cause leur patriotisme et leur engagement citoyen.

La campagne terminée, ce vent anti français aurait dû se terminer aussi, il n’en est rien.

Si la France est le premier partenaire économique de la Tunisie et emploie directement 140 000 personnes en Tunisie, la France est aussi le premier client et le premier investisseur en Tunisie.

La France est aussi le premier partenaire qui a soutenu la Tunisie dans ses recherches de financements, servant même de caution ou délivrant des prêts dont elle sait le remboursement impossible.

Les tunisiens de France sont 700 000 dont une grande partie de binationaux, contribuant grandement au développement économique et humain de la Tunisie.economie invest basque country 750x482 1 300x193 - Le froid économique franco-tunisien

Les transferts de devises des tunisiens de l’étranger représentent autant que le chiffre d’affaire du tourisme, leur « transhumance estivale » assure la pérennité de la compagnie aérienne et maritime à des prix prohibitifs et pour une qualité de service déplorable.

L’investissement des TRE dans la défense du pays est exemplaire, leurs gestes de solidarité sont innombrables, nous pourrions à titre d’exemple citer le rôle incontournable de l’ATUGE qui palie depuis 2011 à la quasi-inexistence de la représentation tunisienne en France ou aux actions en faveurs des tunisiens sur le territoire français.

La France malgré le fait qu’elle accueille la première communauté de tunisiens à l’étranger et qu’elle offre la gratuité des études pour le premier contingent d’étudiant/habitant dans le pays d’origine en France, en faisant la 3 eme population d’étudiants étrangers reste malgré tout mal aimée.

Les attaques se concentrent sur la langue française que la Tunisie devrait renier au profit de l’anglais, après que certains aient voulu remplacer le français par turc en 2012.

Le français fait parti de l’identité et de la culture tunisienne, il permet aujourd’hui aux investisseurs et aux entreprises françaises de travailler en Tunisie, le français fait de la Tunisie le premier pays d’enseignement du français dans le monde, mais aussi le premier contingent de touristes et de résidents.

Ce capital culturel et linguistique est l’un des premiers actifs de la Tunisie, c’est grâce à lui que la Tunisie se bat pour conquérir des marchés face au Maroc, au Sénégal ou aux iles Maurice.

Si demain l’anglais devient la deuxième langue du pays la Tunisie devra alors vendre ses call centers et ses entreprises informatiques face à l’Inde, l’Afrique du Sud et l’Egypte.

Les donneurs d’ordres anglo saxons sont principalement américains et britanniques, je ne suis pas persuadé que la Tunisie possède beaucoup de compatriotes dans ces pays pour faire du lobbying et que ses tarifs soient compétitifs à moins de dégrader encore le niveau de vie des salariés pour payer un informaticien au prix d’une institutrice (350$)

Au-delà de l’absence de lobbying et de reconnaissance de pays qui ont notamment une longue habitude de travail avec l’Inde ou l’Egypte, les modèles de business et les volumétries sont incompatibles (Mumbai fournit par an plus d’ingénieurs que compte la Tunisie aujourd’hui)

Cette situation est d’autant plus préoccupante que la Lybie et l’Algérie traversent des turbulences et que la Tunisie plonge dans la dette depuis 2011, incapable à trois reprises de rembourser ses emprunts, doit à nouveau emprunter pour boucler son budget.

Or la crise COVID19 est passée par là et les bailleurs de fonds seront très réticents à financer un pays en faillite, mauvais payeur et sans cautions.
La crise entraine un replis sur soi et il est peu probable que les autorités françaises prêtent/ donnent/cautionnent face à un électorat qui a voté pour les listes de ceux qui crachent sur la France (ceux du parti Karama notamment).

La France va rechercher des entreprises à relocaliser sur son territoire et la négociation risque d’être compliquée avec la Chine, cependant il sera plus facile de réaliser cette opération avec des pays moins lourds diplomatiquement et économiquement.

Les industries cibles sont celles qui sont à faible valeur ajoutée ou à faible volumétrie, c’est le cas de la quasi-totalité de la sous traitance industrielle ainsi que des métiers des services : centres d’appel et informatique.

Ces activités à faible valeur ajoutée pourront très facilement donner de l’emploi aux millions de chômeurs français de la crise et permettre ainsi aux politiques en France de répondre à une demande forte des citoyens et des électeurs.

Les centres d’appels sont dans tous les cas menacés par l’Intelligence Artificielle et les lois et règlements (dont le RGPD, le harcèlement téléphonique, l’affichage du numéro…)

Les Banques et les assurances rapatrieront sans difficultés leurs centres d’appels pour redorer leur image, idem pour l’industrie automobile sous perfusion publique et l’aéronautique en apnée.

Le textile devrait lui aussi subir de plein fouet la faillite des chaines low cost, la tendance à la déconsommation et les conséquences de la crise du masque qui pousse aujourd’hui les français à préférer une industrie textile locale.

L’informatique n’est pas une industrie en Tunisie et emploie moins de 10000 personnes, les grandes ESN étrangères sont peu nombreuses car toutes ou presque sont installées au Maroc.

Les prix peu compétitifs proposés sur le marché français (en moyenne 30% inférieurs aux tarifs parisiens) risquent d’êtres balayés par la guerre des prix qui a commencé et par les offres locales (Etat et Territoire), ce qui va permettre de proposer des tarifs quasi identiques à ceux de la Tunisie.

Aucun centre en Tunisie ne fait plus de 1000 personnes, alors que chez le voisin marocain aucun des grands opérateurs n’a de structure à moins de 1000 personnes (4000 en moyenne) et dans cette bataille l’armée manque d’artillerie lourde, elle n’a contrairement à son voisin, aucun lobbying et aucune diplomatie.

A titre d’exemple il est bon de se souvenir de la mésaventure d’Atos au Maroc, en Tunisie comme au Maroc des entreprises informatiques françaises tiennent salon et propose de recruter des nationaux pour leur offrir une carrière en France.

Atos avait publié au Maroc une annonce qui de mémoire disait « La France vous tend les bras », les entreprises, les citoyens et les autorités marocaines se sont révoltés, ATOS a dû donc présenter ses excuses en finançant pour 10 millions d’Euros un centre de recherche en Intelligence Artificielle au Maroc, dans le même temps le nombre d’ingénieurs recrutés pour l’étranger a doublé en Tunisie et le Chef du Gouvernement Tunisien (YC) est rentré avec un accord sur le textile.

Dans le même temps, l’augmentation des couts des passeports, la mise en quarantaine et la fermeture des frontières hors Europe pour les tunisiens de France ne va pas favoriser la motivation et l’implication de ses concitoyens si dévoués et si utiles en période de crise.

Le gouvernement français a annoncé une nouvelle dont nous ne connaissons pas les contours : « l’aide à Air France est subordonnée à l’abandon de 50% des vols à moins de 2H30 »

Cet Oukaz écologique, s’il est maintenu dans la forme risque au pire de fermer le tourisme français en Tunisie ou au mieux de faire exploser les billets d’avions à plus de mille euros remettant en cause l’offre et l’attractivité de la Tunisie.

Cette situation va aussi interroger les 40000 français vivant en Tunisie qui risquent de voir leurs déplacements pendulaires impossibles, et dont la crise du COVID 19 a mis en évidence les différences entre le système français « gratuit » et tunisien « payant ».

Après ce triste constat : effondrement du tourisme, relation avec les TRE, recul des entreprises françaises, de la diplomatie, … Il y a-t-il aujourd’hui des notes d’espoir ?

Je pense qu’il y en a plusieurs, tout d’abord la Tunisie moderne s’est construite sur sa seule volonté et son travail, elle n’avait et elle n’a pas de ressources naturelles, si ce n’est le travail et l’intelligence de ses citoyens.

La Tunisie est dans un monde qui lui-même se reconstruit, les positions acquises, les certitudes disparaissent pour laisser place à l’incertitude, un domaine que maitrise bien les tunisiens.

Si la France peut très bien se passer de la Tunisie, l’inverse semble difficilement possible et dans tous les cas les Tunisiens de France ne peuvent se passer de la Tunisie.

Il faut inventer un nouveau modèle, de nouvelles collaborations et créer des nouvelles industries.

L’histoire de Carthage et de Didon impose à la Tunisie de continuer le miracle de son existence en créant de nouveaux possibles.

Pour ma part, la crise a montré l’explosion du télétravail et de l’enseignement à distance, la Tunisie dispose du plus fort contingent au Monde de Docteur/habitant, hélas quasiment tous au chômage ou reconvertis en maçons ou garçons de café.

La maitrise du français, premier pays d’enseignement, est aussi un « asset » de la Tunisie, alors pourquoi ne pas associer les deux pour faire de la Tunisie le premier centre mondial francophone d’enseignement à distance ?

Gardons toujours espoir…

 

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Christian JEAN