TUNISIE FRANCE INFO 1 - Tunisie – France : En attente d’une accélération après la pandémie de coronavirus

Pour un observateur  averti  qui suit d’habitude la mobilité entre la Tunisie et la France et qui a en plus, le sens de détecter et d’analyser  les moindres signes, gestes et vibrations entre les deux rives de la méditerranée, particulièrement  au sujet de la qualité de la liaison entre Tunis et Paris, le résultat du décodage des relations politiques pendant ces quelques derniers mois s’annonce plutôt morose. Ce ne sont pas des relations tout à fait au beau fixe et ce depuis l’arrivée de Kais Saïd semble-t-il au palais de Carthage.

Ces relations ont connu leur vitesse de croisière  et meilleure période après le 14 janvier 2011, sous la présidence du regretté Beji Caied Essebsi qui a eu l’occasion de traiter avec deux présidents français à savoir, François Hollande et l’actuel locataire du palais de l’Elysée Emanuel Macron. Tous deux et chacun à sa manière a exprimé soTUNISIE FRANCE INFO 1 300x210 - Tunisie – France : En attente d’une accélération après la pandémie de coronavirusn soutien à la nouvelle expérience démocratique tunisienne. Tous deux également ont visité la Tunisie pour appuyer la transition en place. Beji Caied Essebsi s’est rendu aussi à Paris. Entre 2014 date de l’élection au mois d’octobre de BCE et sa mort au mois de juillet 2019 tout a baigné dans l’huile entre les deux pays et dans tous les secteurs, consultation politique, notamment par le biais des deux ministres des affaires étrangères qui se sont échangées les visites, coopération économique, sociale, culturelle, sécuritaire et dans le domaine de l’enseignement …

Cependant depuis octobre 2019 et l’élection de Kais Saïd à la magistrature suprême, c’est un sentiment que quelque chose ne tourne pas rond, qui s’est installée au niveau des rapports entre les deux pays. Sachant que pendant la campagne électorale des observateurs ont estimé que Paris souhaitait l’arrivée à Carthage de Youssef Chahed, chef du gouvernement à l’époque, président du parti (Tahyia Tounes – vive la Tunisie).

Youssef Chahed fait partie de ce qu’on appelle à Tunis, les (Golden boys), ce sont les membres de l’association des ingénieurs et hauts cadres tunisiens qui ont étudié en France et qui ont la double nationalité. Ils sont considérés comme les dignes défenseurs des intérêts de l’hexagone en Tunisie. Beji Caied Essebsi en faisant le choix de présenter à l’assemblée nationale le nom de Youssef Chahed membre de la direction de son propre parti Nida Tounes vainqueur des élections législatives de 2014 , avait à l’esprit toutes les données sur la personne et surtout pour donner un nouveau souffle à la coopération tuniso-française et tuniso-européenne .

Effectivement et malgré une année 2015 marquée par des opérations terroristes à Sousse et à Tunis, la Tunisie a bénéficié du soutien de ses partenaires européens particulièrement la France surtout dans le cadre sécuritaire pour lutter contre le terrorisme et également dans le domaine économique pour soutenir l’activité touristique et les exportations tunisiennes  vers l’Europe.

La victoire de Kais Saïd a bouleversé tout le circuit des relations entre Paris et Tunis. C’est un véritable coup de tonnerre à la dynamique introduite sous BCE. Sachant que pendant la campagne électorale des élections présidentielles, l’opinion publique nationale comme internationale, a découvert un candidat atypique antisystème conservateur  sans parti politique, très porté par ses déclarations et discours dans la surenchère, le populisme,  des idées de l’extrême gauche, de l’extrême droite, de l’islamisme salafiste, du panarabisme apparenté à un certain Mouammar Kadhafi et un style inhabituel notamment par son langage littéraire arabophone du constitutionnaliste universitaire . Il s’est montré dogmatique intransigeant sans instruments de l’homme politique, qu’un pragmatique avec le savoir faire et le jonglage nécessaire pour faire valoir son projet et atteindre ses objectifs selon les règles de l’art.

Les quelques idées lancées au public  ont laissé craindre le pire,  une dérive vers l’inconnu, genre du pouvoir locale (comité populaire de Kadhafi) ou la révision de la constitution et de la loi électorale pour un autre type de scrutin uninominal dans lequel une seule personne est élue lors d’un scrutin. Ainsi le territoire sera divisé  en autant de circonscriptions que de sièges à pourvoir, une anarchie au-delà des espoirs des tunisiens.

Kais Saïd est arrivé même jusqu’à dire qu’il ne votera pas pour lui-même , qu’il n’a pas de programme électoral , que ce sont des jeunes bénévoles autour de lui et sans des moyens financiers qui se sont organisés pour concocter selon chaque région des projets à mettre à la disposition des électeurs , sous le slogan ( du peuple qui veut ) . Donc pour Paris, ce candidat n’inspirait pas de confiance pour gérer des relations stratégiques entre les deux pays, semble t-il.

Au grand étonnement de tous, Kais Saïd a accédé au palais de Carthage, face il faut le dire à des candidats qui ne faisaient pas l’unanimité.

Dix jours après sa victoire, il a prêté serment, mercredi 23 octobre, comme nouveau président de la République devant les élus de l’Assemblée des Représentants du Peuple.

Emanuel Macron était parmi les premiers chefs d’états a le féliciter dans une communication téléphonique le lundi 14 octobre 2019 c’est-à-dire au lendemain du scrutin au second tour du 13 octobre. Macron a salué « la mobilisation démocratique  dont les tunisiennes et des tunisiens ont fait part, lors des dernières échéances électorales ». Il a tenu à réitérer à  Saïd la volonté de la France de développer la coopération bilatérale entre les deux pays, surtout  en ce qui concerne la jeunesse des deux pays ».

Kais Saied a reçu, le vendredi 25 octobre 2019, Bertrand Delanoë, ancien maire de Paris, au Palais de Carthage. C’était le premier homme politique d’envergure à le rencontrer jouant le rôle d’éclaireur pour les décideurs en France. 

  1. Delanoë  «  a réitéré ses félicitations au président pour sa victoire à la Présidentielle, lui transmettant un message d’amitié et de considération de la part du peuple français. Il a, ensuite, affirmé la volonté commune de consolider la coopération bilatérale.

Il a indiqué que les relations d’amitié et de solidarité établies entre les deux peuples n’ont pas cessé de se développer et de se renforcer, et qu’il était confiant quant à la capacité des Tunisiens à relever les différents défis pour faire réussir leur expérience démocratique » .

De son côté, Kais Saied a «  affirmé que la Tunisie et la France partagent les valeurs de démocratie et de liberté et a insisté sur le souci de promouvoir les relations de coopération stratégique d’un côté, et de raffermir les liens d’amitié historiques entre les deux peuples, d’un autre côté ».

Le nouveau locataire de Carthage  s’est entretenu, le jeudi 9 janvier 2020, avec le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, au palais de Carthage.

Dans une déclaration accordée aux médias à l’issue de cette rencontre, Jean-Yves Le Drian a précisé «  que la réunion a débattu de la coopération bilatérale et des moyens de la renforcer notamment à l’échelle économique en doublant notamment les investissements des entreprises françaises en Tunisie. Un engagement pris par le président français, Emmanuel Macron, lors de sa visite d’Etat en Tunisie en janvier 2018 ».

  1. Le Drian a, «  également, évoqué la nécessité de consolider la coopération dans le domaine de la décentralisation en favorisant la démocrate locale et qui se traduira par la tenue du Haut conseil de coopération à Tunis regroupant les gouvernements tunisien et français.

Il est, par ailleurs, revenu sur le partenariat tuniso-français et sur les projets structurants au profit de la jeunesse à l’instar de l’Université franco-tunisienne pour l’Afrique et la Méditerranée (UFTAM), inaugurée le 1er octobre 2019 ainsi que la deuxième édition du Sommet des deux rives où la société civile se mobilisera autour des projets pour la jeunesse.

La rencontre a, aussi, permis de passer en revue les enjeux régionaux notamment la situation en Libye relevant l’importance à parvenir à une solution au conflit libyen dans le respect du droit international.

Il a été, également, question d’appeler à établir un dialogue inter-libyen aussi bien qu’un processus politique associant les acteurs régionaux et les pays voisins notamment la Tunisie.

La réunion a, aussi, abordé les grands enjeux multilatéraux où Jean-Yves Le Drian a exprimé le souhait de la France d’œuvrer communément avec la Tunisie en ce qui concerne son élection en tant que membre non-permanent au Conseil de sécurité de l’Onu en 2020-2021.

La France appuiera, également, la Tunisie dans la préparation du Sommet de la Francophonie qui se tiendra les 12 et 13 décembre 2020 à Tunis (reporté à cause de la pandémie de coronavirus à une date ultérieure peut-être en 2021 à l’ile de Djerba au sud de la Tunisie,  autour du thème :

 » Connectivité dans la diversité : le numérique vecteur de développement et de solidarité dans l’espace francophone  » ».

Entre temps du coté de Tunis, il n’y a pas grand-chose à soulever,  c’est presque silence radio, sauf peut-être l’annonce surprise le 30 décembre que   l’ambassadeur de Tunisie à Paris, a été démis de ses fonctions sur ordre du président de la république.  Il en est de même pour le consul général de Tunisie à Paris.

Depuis le poste d’ambassadeur est vacant.

Paris regarde ces derniers temps avec prudence  les rapports entre la Tunisie et l’axe islamiste  (Turquie, Qatar, et le gouvernement de Faiez Sarraj en Libye).

Entre temps la propagation de la pandémie de coronavirus est venue pour compliquer un peu plus  les choses et de facto pour mettre en sourdine le flux habituel des échanges de  visites des responsables des deux pays.

Ça fait maintenant presque cinq mois depuis le début de l’année que l’on ne constate pas une visite de part et d’autre entre Paris et Tunis pour faire le tour des sujets politiques d’intérêt commun.

L’actuel ministre tunisien des affaires étrangères Mr  Noureddine Erray a été nommé le 27 février 2020. IL s’est entretenu au téléphone dernièrement  avec son homologue français et se sont mis d’accord sur l’échange de visites pour très bientôt en commençant par celle de Mr Jean-Yves Le Drian à Tunis.

Mr  Noureddine Erray a suivi un cursus de troisième cycle à l’ENA à Paris.

A signaler que Kais Said a proposé à l’ARP son candidat pour la primature à la Kasbah, un certain Elyes Fakhfakh ingénieur de formation (membre de la fameuse des (Golden boys) comme Youssef Chahed son parrain ayant la double nationalité et avait également fait des études en France et s’est installé à Paris comme dirigeant d’une entreprise.

Les choix de Kais Saïd, pour le ministre des affaires étrangères et pour le chef du gouvernement,  ne pouvaient pas passer inaperçus pour Paris. C’est un message ou une consolation pour demander à l’hexagone de changer son appréciation sur Saïd lui-même et éventuellement sur sa politique, encore pas tout a fait éludée. Même dans le cercle de Kais Said malgré le poids des islamistes, on en trouve de la gauche et des amis de la France.

Elyes Fakhfakh est membre du parti du Forum (Social-démocrate membre de l’international socialiste) de Mustapha Ben Jaafar (ancien président de l’assemblée constituante, marié à une française et très proche de Paris).

Par ailleurs, les deux représentants de la Tunisie et celui de la France auprès des nations unies et également pour les deux départements des affaires étrangères à Tunis et à Paris, ont présenté en commun un projet de résolution au conseil de sécurité. La France au nom des cinq pays permanents et la Tunisie au nom des dix autres pays.

Le projet réclame « le besoin urgent d’une coordination renforcée parmi tous les pays pour combattre la pandémie covid-19  et demande une cessation générale et immédiate des hostilités dans tous les pays et foyers de tension. Il a confirmé l’appel du Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, « à un cessez-le-feu immédiat dans le monde entier pour raisons humanitaires ».

Mais voila qu’en ce mois de mai et en pleine effervescence de coronavirus, la coalition Karama à l’assemblée des représentants du peuple (mouvement islamiste salafiste dirigé par l’avocat Seif  Eddine Makhlouf, proche du parti Ennahdha au pouvoir, qui a soutenu Kais Said lors des élections présidentielles mais qui a pour le moment avec lui des ennuis et qui cherche à le déstabiliser ) , a présenté  une initiative législative pour exiger 《des excuses officielles de la part de la France pour la période coloniale et même post-indépendance » .

Cela a été interprété différemment  à Tunis, du moins  comme une  démarche qui reflète la pensée du courant islamiste salafiste d’extrême droite pour certains , en partage des rôles avec quelques tendances proches (des membres d’Ennahdha) et même des nationalistes panarabistes (Mouvement du peuple de Zouhair Maghzaoui et le Courant démocratique de Mohamed Abbou) .
Ils ont un problème viscéral et historique en réalité avec la Tunisie de Bourguiba et non avec la France.
Le prétexte c’est évident la période coloniale.

Cependant  , la question qui s’est  posée , est-ce qu’il serait mieux de regarder vers l’avant ou de
regarder vers l’arrière pour régler ses comptes avec tous ce qui suppose d’un climat de tension en permance entre les deux pays et une confrontation qui empêche le développement socio-économique et  des moyens de coopération ?

Pour la coalition Karama et les panarabistes , le plus grand reproche à la France , c’est d’avoir participé d’une manière ou d’une autre , a l’échec du projet de Salah Ben Youssef qui était contre l’autonomie interne et voulait une indépendance totale en liaison avec l’indépendance de l’Algérie sous l’instigation de l’Égypte du Rais Gamal Abdenaceur . Plus encore d’avoir soutenu Bourguiba dans son œuvre de moderniser la Tunisie, d’avoir neutralisé l’influence des cheikhs et de la Zitouna sous son ancienne formule classique en dehors du contexte d’évolution international, voie considérée pour les fanatiques comme une attaque à l’identité islamique de la Tunisie, oubliant le besoin de réformer cette identité sans toucher aux fondements pour inclure les valeurs universelles et la modernité.
Donc face à la débâcle des islamistes fanatiques et des panarabistes , depuis plus d’un demi-siècle , la coalition Karama and Co essaient aujourd’hui de se repêcher pour régler leurs comptes à la France et à la Tunisie de Bourguiba , avec tous ce que cela  représente comme supports dans l’enseignement , la culture , mode de vie , modèle de développement , tourisme , économie , ……
La coalition Karama and Co. voulaient suivre l’exemple de l’Algérie. Pourtant il y a des différences énormes entre le régime de protection imposé à la Tunisie en 1881 et le colonialisme direct imposé à l’Algérie en 1830.
La Tunisie Husseinite a subi les soubresauts de la commission financière pour donner suite aux difficultés de rembourser ses dettes et à la corruption généralisée dans le pays. C’était la porte d’entrée du protectorat en plus des décisions de la conférence de Berlin.

L’occupation de l’Algérie était dans un autre contexte après la révolution française et l’expansionnisme européen.
Aujourd’hui il y a d’autres pistes plus rentables pour les intérêts de la Tunisie. Celles de renforcer les investissements français et européens, de bénéficier de la technologie et du progrès européen.

La Tunisie n’a pas les capacités et ni les moyens d’ouvrir un front champ de bataille de part et d’autre de la méditerranée qui peut creuser ses difficultés.
À moins que la mauvaise foi, cherche à détruire l’Etat civil moderne pour un autre projet archaïque utopique populiste ……Ça sera la descente aux enfers dans l’instabilité et le cafouillage.

Sachant que la lutte contre la corruption ne peut en aucun cas être le leitmotiv pour ce saut dans l’inconnu.

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Jalel LAKHDAR

Ancien ambassadeur